MUSICOTHÉRAPIE À LA PRISON
(Heure d’espoir)
Graciela Zermoglio
LA PRISON
J’ai toujours été préoccupée par la délinquance juvénile. Peu de temps après avoir obtenu ma qualification de musicothérapeute, je me suis rendue à la prison avec l’intention de proposer mes services à l’équipe d’intervenants. Celle-ci n’était pas défavorable a priori, seulement… le cahier des charges des prisons argentines n’a pas prévu l’emploi de musicothérapeute. De plus, étant une femme, il m’était interdit d’avoir un contact direct avec les détenus.
Il me fallait donc trouver un moyen d’approcher les prisonniers. Je pris rendez-vous avec la sociologue de « L’aide aux prisonniers et aux libérés » qui me proposa un travail avec de jeunes délinquants incarcérés dans une prison municipale à Esquel, province de Chubut.
Lors de ma première rencontre avec le responsable, j’expliquai ce qu’était la musicothérapie, les objectifs que je souhaitais poursuivre. Insistant sur 1e fait que cette activité ne devait pas avoir un caractère obligatoire mais qu’elle était fondée sur le volontariat. Il ne fallait pas de contrainte, ni extérieure, ni interne.
Je ne suis pas certaine qu’il ait bien compris mes arguments pas plus que les raisons qui me poussaient… mais il accepta. À ses yeux la musique ne présentait de danger pour personne.
Il y eut certaines conditions. Seuls 25 détenus pourraient bénéficier de cette activité, ceux qui étaient coupables d’homicide et ceux qui étaient considérés comme dangereux étaient exclus. Les séances devaient avoir lieu le mardi et le jeudi de 9h30 à 10h30 dans une salle jouxtant le réfectoire, au-delà des grilles. Ceci voulait dire qu’un gardien devait assister à la séance.
J’acceptai l’ensemble des propositions sauf la présence du gardien. Nous discutâmes mais ce fut accordé et nous pûmes commencer le travail.
Ce que je veux exposer ici c’est ce que nous avons fait avec un des deux groupes sur un temps très bref car l’expérience dura six mois et tourna court. Le responsable changea et le nouveau décida… qu’une femme ne pouvait être en contact direct avec les détenus et je fus, aimablement, invitée à cesser les « cours de musique aux enfants » !
Temps très court donc, mais très riche à mon sens.
QUELS ÉTAIENT MES OBJECTIFS ?
Je pense que nous vivons dans un monde qui dissocie. Nous sommes immergés dans une sonosphère dans laquelle la musique n’a plus son caractère d’union, de compréhension collective, peu à peu elle cesse d’être l’expression du sentiment.
Dans une société où, chaque jour, la communication est plus difficile, la musicothérapie propose un 1ieu où le fait musical peut retrouver son rôle d’extériorisation spontanée, vitale. La musique, le chant, l’exécution instrumentale sont des activités qui peuvent se partager dans un groupe.
Le musicothérapeute utilise la musique en tant qu’élément mobilisateur, il rend possible une communication non-verbale qui permet de redonner au fait musical son caractère groupal, collectif, générateur d’états affectifs, il facilite le surgissement de contenus intérieurs et leur permet de s’exprimer.
Peut-on dire que le son présente un caractère expressif relevant de 1′autoérotisrae ? Je le pense. Lorsque nous rencontrons à nouveau nos sons, nous reprenons possession de notre corps, de nos émotions et de notre sensibilité perdue. La musique est la vie et un corps qui est sonore, vibre… vit.
L’EXPÉRIENCE
Ce mardi, à 9h30, ils sont 8. Ils se sont décidés lors d’une réunion préliminaire. Ils ont entre 16 et 20 ans, l’un d’entre eux toutefois a 33 ans. Ils sont en prison pour diverses raisons : violences, escroqueries, coups et blessures, petits vols. Ils sont pour la plupart récidivistes. Ils sont issus de milieux très défavorisés.
Nous nous installons dans le local qu’on nous a accordé, assis en rond. Je leur présente les instruments : guitare, maracas, tambours, bois, cymbales, flûtes, xylophone, racleur, tambourins et une percussion de Patagonie.
Ils choisissent, font des essais de sonorités, posent des questions. Ils sont excités par tout ce désordre, ils rient, crient, tantôt anxieux, tantôt joyeux, chaotiques.
Peu à peu, tout s’organise naturellement lorsqu’ils trouvent un rythme qui permet des interventions brèves mais adaptées… Ils écoutent 1′autre. L’expression des visages change, le corps est moins tendu et ils communiquent du regard.
M. joue de la guitare, il commence par faire les accords d’une samba « Mon espoir ». Il joue, regarde mais ne se décide pas à chanter. Tous l’accompagnent avec des instruments. Je commence la chanson et le chœur se met en marche ! Ils chantent d’une voix forte et bougent sur place. Lorsque la chanson est terminée, ils la reprennent. G. dit : « C’est sûr, c’est un espoir, quelque chose de nouveau pour nous ». Ils demandent à M. de jouer une autre chanson, ce qu’il fait.
Personne n’a quitté l’endroit choisi au début, ils restent assis mais suivent avec le corps le déroulement de la mélodie. De la grande excitation on passe à un état plus calme, plus réfléchi. Nous pouvons alors parler de ce qui s’est passé, prendre conscience. En fin de séance, ils demandent à revenir le jeudi.
Les séances qui ont suivi s’avérèrent très dynamiques. Des jeux rythmiques émergent de même que des échanges (dialogues) spontanés aux instruments : question/réponse, contre-chant…
On observe des échanges sonores/rythmiques dont les formes rendent compte des états d’âme : tristesse, joie, colère, anxiété, solitude, abandon, douleur, violence ou agressivité.
Les instruments deviennent le lieu de projection dès le moment du choix, de même qu’ils attribuent une place dans le groupe. On repère ainsi des instruments meneurs, d’accompagnement, soumis, organisateurs, expressifs, à participation ponctuelle.
L’instrument, objet intermédiaire, « exprime » ce que chacun ne se décide pas à dire. L’improvisation musicale provoque une situation de plaisir qui permet 1′identité groupale.
EN MARGE
Pendant que se déroulait l’expérience, on a pu noter quelques faits. Ainsi, on a accordé à C. une autorisation spéciale de travail à l’extérieur (chez un menuisier) en raison de sa bonne conduite. Il ne veut pas y aller car, selon ses dires, il perdrait la possibilité de suivre les séances de musicothérapie… En réalité il faut chercher plus loin la véritable raison. Sa crainte d’être confronté à la réalité extérieure, à la société, d’admettre devant les autres d’être privé de liberté et, en même temps, profiter et jouir de ce moment, tout ceci l’obsède et l’angoisse.
« Dans la rue, les gens me regardent, ils savent que je suis un prisonnier » dit-il.
Nous avons pu parler de tout ça après une séance ayant mobilisé activement tout le groupe. Il a fini par trouver une solution : il arrivera à la menuiserie 1h30 après l’ouverture et sortira donc Ih30 après l’heure normale. L’employeur accepte et C. se déclare très satisfait. R. vient d’être libéré et il déclare au groupe qu’il voudrait bien apprendre la-musique.
Le groupe est un agent multiplicateur car après deux semaines de travail, un autre groupe de 8 adultes se forme. On constate aussi que les rapports entre les détenus s’améliorent. « Nous nous connaissons mieux », « nous nous comprenons mieux »
Dans la prison exerce un maître chargé de l’apprentissage de la lecture pour ceux qui ne savent pas lire et de l’enseignement général pour les autres. Il me fit part de la bonne évolution des gens du groupe.
Le médecin délégué par la justice est un psychiatre. Quelques jeunes gens du groupe demandèrent, lorsque l’expérience cessa, de pouvoir bénéficier d’une psychothérapie.
Lors de la dernière séance je proposai un jeu. Chacun devait faire un mouvement et émettre un son, les autres devaient tenter de se joindre au premier…
T. s’accroupit, on aurait dit que ses bras étalent deux balanciers. Il émit un son long et monotone : « /S/… » Un autre vint puis tout le groupe. Le son prit de la force et tout l’espace fut occupé. Peu à peu, l’intensité diminua ainsi que le mouvement… seul demeurait l’espoir.
Le train qui doit en mener quelques-uns dans peu de temps. Deux de ces jeunes ont encore un an à faire.
Deux mois après la fin du travail, l’un d’entre eux fut enfermé à l’hôpital psychiatrique pour hallucinations et délire. Ce n’est pas pour cela que le responsable changea d’opinion sur les possibilités d’interventions en milieu carcéral….
Dans cette expérience je pense que nous avons atteint nos objectifs et, de ce fait, j’éprouve de la joie… mais aussi une grande tristesse car, dans la grande sonosphère, on trouve aussi bien des gens qui « ne veulent rien entendre ».
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